Il y a plus important que de nous faire la morale concernant le CO2
Interview Mark Pecqueur, professeur & directeur de recherche en technologie automobile

Ferre Beyens
RESPONSABILITE
Autrefois, on pensait que toute personne sensée devait s'incliner devant la supériorité d'éléments de preuve fiables. Aujourd'hui, ces preuves sont toujours là, mais le mortel dégénéré en zombie du smartphone s'est transformé en contestataire têtu. Il a subi un lavage de cerveau de la part des médias, qui échouent lamentablement à communiquer des informations utiles et surtout correctes et qui n'arrivent quasiment plus à cacher le fait que leur rédaction est 'orientée'. Pensons à la récente folie médiatique liée à l'affaire du diesel et à l'atténuation, voire la dissimulation des dommages causés à l'environnement par le sacro-saint moteur essence.

Dans cette optique, CarFix a souvent apporté un regard critique. Il nous a donc semblé de notre devoir de prêter une oreille attentive à un spécialiste expérimenté comme Mark Pecqueur. Avec des pour et des contre bien étayés, il arrive à convaincre tout individu intelligent: on nous cache énormément de choses en ce qui concerne la technologie automobile, la stratégie énergétique et les entraînements alternatifs. De plus, la politique envoie intentionnellement des signaux qui perturbent le flux d'informations objectives.
PENURIE ENERGETIQUE & RENDEMENT
En affirmant qu'il n'y a aucun problème d'énergie, vous allez à contre-courant des prophètes de la rédemption verte.

Selon vous, le rendement n'est pas une question importante. Ce point de vue fait froncer beaucoup de sourcils.
Mark Pecqueur: Si l'on a besoin de 15 TW d'énergie et qu'on peut en capter 1% sur une offre totale de 85.000 TW d'énergie solaire, on n'aura besoin que de 2% de rendement dans tout le prolongement de cette chaîne énergétique.
"Il n'a aucun problème énergetique. On ne cesse de dire que les réserves de petrole diminuent et que nous nous retrouverons bientôt sans énergie. Ce raisonnement est insense."
Mais alors, nous devrons stocker cette énergie solaire captée de manière compacte?
Mark Pecqueur: La solution réside donc dans la densité d'énergie. C'est justement la grosse valeur ajoutée des combustibles fossiles (classiques). On oublie vite la quantité d'énergie que comporte un litre d'essence ou de diesel. Mais c'est la nécessité qui induit l'invention, non? Il faut chercher d'urgence une densité énergétique comparable.
Vous jouez résolument la carte de l'énergie solaire, mais est-ce une solution réaliste sur le plan financier?

Techniquement, il est possible de produire de l'électricité à partir du soleil, mais il est plus difficile de stocker cette énergie et de la rendre disponible à la demande.
Mark Pecqueur: La question n'est donc pas de savoir qui peut produire de l'électricité, mais qui peut fournir cette électricité partout, de manière abordable et à la demande. Le stockage de cette énergie doit aussi se faire dans le respect de l'environnement et sans gaspiller les matières rares. Il existe quelques solutions exotiques, mais elles nécessitent des tonnes de lithium. Les réserves mondiales de lithium sont-elles suffisantes pour répondre à cette demande? Je suis presque sûr que non ...
ELECTRIQUE? OUI, MAIS INTELLIGEMMENT
Vous croyez beaucoup à l'énergie solaire, mais vous êtes moins optimiste face à la mode des véhicules électriques. Pourquoi?

Votre problème n'est donc pas la voiture électrique, mais l'offre d'énergie?
Mark Pecqueur: En théorie, 80% de notre parc automobile peut rouler à l'électricité. Pourra-t-on recharger cette énorme flotte partout via une prise ou une borne de recharge rapide – pour autant qu'elle soit disponible? J'en doute. Cela prouve que ce n'est pas la production, mais le stockage et la livraison d'énergie à la demande au parc automobile électrique qui pose problème.
Pourtant, on voit de plus en plus d'hybrides plug-in reliés à des bornes.
Mark Pecqueur: Beaucoup de ces PHEV sont rarement rechargés, si bien que ces véhicules consomment encore plus de carburant fossile qu'une voiture traditionnelle comparable. Ils n'affichent pas la conscience écologique des gens: ils constituent avant tout un moyen de bénéficier d'un avantage fiscal! Désolé, mais je considère plutôt les PHEV (coûteux) comme des jouets pour riches. Où est la logique fiscale si les autorités vous récompensent financièrement, alors que vous avez plus de 400 ch?
"Désolé, mais je considère les PHEV (couteux) comme des jouets pour riches. Ces vehicules sont avant tout un moyen de bénéficier d'un avantage fiscal."
Dans des études récentes, vous démontrez que la mobilité électrique – avec la situation technologique actuelle – se prépare à des obstacles encore plus gros.
Mark Pecqueur: Parce que la mobilité respectueuse de l'environnement ne se limite pas au 'zéro émission'. L'usage intelligent des matières rares intervient également. Toutefois, personne ne parle du fait qu'une batterie moyenne (65 kWh) a besoin de 10 kg de lithium. Les autorités américaines estiment la réserve de lithium mondiale à 14 millions de tonnes. Au total, c'est insuffisant pour pouvoir réaliser le rêve de la mobilité électrique avec la technologie actuelle. Personne ne semble se préoccuper de l'aspect économique. Toutefois, nous constatons des hausses de prix effrayantes du lithium. Et dire que la part automobile sur le marché mondial du lithium est encore faible ... De plus, une visite des mines de nickel canadiennes et de leur environnement désolé montre que le nickel ne constitue pas forcément une alternative écologique.
La batterie li-ion affiche une capacité croissante et – malgré le prix croissant du lithium – on constate des prix de batterie en baisse par kWh.

La mobilité électrique vous semble être une perspective réaliste pour le transport urbain local. Mais vous pensez qu'électrifier la voiture telle que nous l'utilisons aujourd'hui, est une erreur.
Mark Pecqueur: Oui, une erreur qu'on a déjà commise, en plus! Karl Benz a remplacé le cheval par un moteur. Mais il s'est vite avéré qu'il fallait un volant, car le cheval n'assurait pas seulement l'entraînement, il dirigeait aussi le carrosse. Et il freinait. Le carrosse est ainsi devenu un véhicule motorisé que nous appelons 'voiture'. Aujourd'hui, nous voulons transformer cette voiture en véhicule électrique, mais nous devons comprendre que la voiture – telle que nous la connaissons et utilisons – et le moyen de transport électrique visé sont deux choses totalement différentes. A mes yeux, le véhicule électrique est plus qu'un jouet pour gourou écolo. Plus encore: avec de l'hydrogène comme vecteur énergétique, la pile à combustible et la voiture sur batterie restent des perspectives intéressantes. Tant que nous les abordons intelligemment, bien sûr.
PLUS IL Y A DE CO2, PLUS L'AIR EST PROPRE
Les diesels restent pointés du doigt dans le débat environnemental. pourtant, des mesures sérieuses montrent qu'il n'y a pas que ce maudit diesel et qu'il faut d'urgence accorder plus d'attention à l'industrie, au chauffage des maisons,...

Il est donc grand temps d'annoncer que les moteurs essence à injection directe sont plus polluants que ce qu'affirmaient les inquisiteurs fanatiques du diesel.
Mark Pecqueur: Les moteurs essence à injection directe ont aussi un problème de particules, mais cela pourrait être contrôlé simplement ... à condition que nous soyons prêts à augmenter la consommation de carburant (et donc de CO2). D'où viennent les particules lors de la combustion de diesel? D'une combustion rapide et incomplète. C'est aussi le cas avec l'essence à injection directe. Nous injectons le carburant rapidement et formons une combustion par couches. A la fin, l'essence ne peut pas se consumer entièrement. La solution? Donnez au carburant le temps nécessaire, mélangez-le bien avec de l'air et allumez seulement ensuite. La combustion de carburant et les émissions de CO2 vont augmenter, mais les émissions de particules vont fortement baisser.
Comme on l'a déjà dit dans Carfix: une augmentation du CO2 entraîne des émissions moins polluantes et une diminution du CO2 (avec une plus faible consommation de carburant) entraîne des émissions plus toxiques. Plus il y a de CO2, plus l'air est propre...

Qu'est-ce qui mérite le plus d'attention: les émissions du moteur à combustion ou la pollution qui ne sort pas du tuyau d'échappement?
Mark Pecqueur: Les deux. Mais il ne faut pas avoir une attitude puérile. Les émissions nocives du moteur à combustion interne ont diminué de 79 jusqu'à nos jours selon un facteur 100. Nous ne pourrons pas répéter cet exploit de sitôt. La pollution qui ne sort pas du tuyau d'échappement (non-tailpipe), mérite donc plus d'attention. En effet, il n'y a aucun règlement à cet égard. A quel point un pneu peut-il s'user, quid de la composition de ces particules usées, quelle pollution un disque de frein ou un patin de frein peut-il causer, ...?
Voilà donc un nouveau chapitre difficile sur les émissions?
Mark Pecqueur: Les constructeurs de pneus le savent. Ils sont conscients de l'impact et cherchent des solutions, mais il n'existe pas (encore) de remède miracle. Pour les émissions de freinage, c'est un peu plus simple. On peut envelopper les étriers de frein et compenser les fonctions de freinage dans une transmission, en convertissant la friction sèche en frottement humide et en absorbant les particules de freinage dans l'huile.
"La pollution non liée au tuyau d'échappement est trois à quatre fois plus élevée que celle rejètée par les moteurs diesel et essence avec un filtre à suie. Ne ferions-nous pas mieux de nous concentrer sur les pneus et l'usure des freins?"
Quelle est la réaction de la Commission Consultative Européenne (SAE – Society of Automotive Engineers)?
Mark Pecqueur: Cette matière est confidentielle. Le problème est connu et on peut s'attendre à des règlements plus stricts. Les constructeurs automobiles (même ceux de véhicules électriques) ne sont pas encore conscients que leurs produits contribuent autant à la pollution aux particules.
CARBURANT SANS CARBONE
L'électrique? Oui, mais avec des restrictions. Les carburants alternatifs? Oui, avec une transition progressive et économiquement réalisable de notre parc automobile.

Même si la pile à combustible évolue, le moteur à combustion classique n'est pas près de tirer sa révérence.
Mark Pecqueur: Absolument, d'autant plus qu'il existe en matière de carburant des solutions faciles à convertir dans la pratique. Ainsi, les alcools offrent une perspective intéressante, car ils peuvent être combinés avec des techniques d'entraînement existantes, dont l'ICE (Internal Combustion Engine). On capte le CO2 dans l'air, on le combine avec de l'hydrogène et on obtient du méthanol (CH3OH) qui – moyennant quelques adaptations – peut être assimilé par un ICE. Le bilan énergétique est loin d'être brillant, mais si l'on considère l'énergie solaire comme une énergie primaire, ce rendement est moins important.
Le CNG n'est-il pas plus simple?
Mark Pecqueur: C'est certainement la démarche la plus rapide et la plus simple que nous pouvons (et devons!) faire. Plusieurs constructeurs l'ont compris et fournissent de plus en plus de modèles CNG. En outre, le nombre de stations-service augmente et le prix est intéressant. Sur le plan environnemental, le CNG est le plus favorable de tous les carburants actuellement commercialisés. De plus, le CNG comme gaz naturel offre encore une perspective attrayante. En effet, le pas vers le biogaz est vite franchi. Si nous misons massivement là-dessus, nous arriverons rapidement à un carburant 100% renouvelable. Comme le CNG est déjà applicable à chaque moteur essence, cela ne devrait pas tarder.
Ça semble trop beau pour être vrai.
Mark Pecqueur: Le gaz naturel est du méthane et le méthane est du biogaz. La transition du gaz naturel pour la voiture vers le biogaz (issu de déchets) nous amène incontestablement à une solution environnementale à applaudir. Bien sûr, il y a un 'mais', car les émissions de méthane sont 25 fois plus néfastes que le CO2 pour le réchauffement de la planète. Les fuites de méthane méritent donc toute notre attention. Mais la technologie est suffisamment mature et il y a peu de raison sur le plan économique de ne pas donner sa chance au CNG. Le CNG apporte donc du changement et crée une opportunité que nous devons saisir.
La turbine bénéficie-t-elle de l'attention qu'elle mérite?

Pour terminer: vous avez dit récemment que tout le monde dans la chaîne de l'automobile a une responsabilité. Que vouliez-vous dire par là?
Mark Pecqueur: Qu'on nous fait tellement la morale concernant le CO2 que cela détourne l'attention d'autres répercussions automobiles. Que nous ne nous en sortirons pas rien qu'avec cette pédagogie écologique, même s'il faut attendre les spécialistes qui étaieront la recherche de manière sérieuse. Il ne faut pas être hypocrite. Le client automobile ne semble toujours pas se préoccuper de son environnement. Et s'il le fait, il ne se pose pas ou peu de questions quant aux pièces, p.ex. Se demande-t-il si ces composants sont produits dans le respect des règles environnementales ou de sécurité? Se demande-t-il si ces pièces ne sont pas le résultat final bon marché du travail d'enfants, quelque part en Inde ou en Chine? L'automobile englobe bien plus que cette histoire de CO2 si profondément enracinée.