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“SI NOUS NE POUVONS PAS TRAVAILLER DE MANIERE SURE, NOUS NE TRAVAILLONS PAS"

Patrick Vanhie (Strukton Rail) applique ce principe a la lettre

Patrick Vanhie

Le rail est un monde en soi. C'est également le cas des entrepreneurs privés auxquels Infrabel fait régulièrement appel. Il s'agit d'un petit univers qui est fortement dépendant des budgets dégagés par les politiques pour garantir la mobilité (publique) dans ce pays. Mais les investissements dans le rail sont chers et ils servent le long terme, ce qui ne cadre pas avec les législatures de cinq ans au sein desquelles les élus du peuple aiment présenter leurs résultats. InfraStructure a discuté de ça ainsi que de bien d'autres thèmes avec Patrick Vanhie, managing director de Strukton Rail.

Strukton Rail est un entrepreneur majeur en infrastructure ferroviaire dans notre pays. Le siège du Groupe Strukton se trouve à Utrecht, aux Pays-Bas, et Strukton Rail possède aussi des établissements en Italie, en Suède et au Danemark. “La partie civile de notre entreprise est surtout concentrée aux Pays-Bas, tandis que les activités ferroviaires du Groupe Strukton sont beaucoup plus internationales", déclare le managing director, Patrick Vanhie. “Actuellement, nous travaillons à la construction d'une ligne de métro à Riyad, en Arabie Saoudite."

MARCHE DE NICHE

A un moment, l'Europe a décidé qu'il fallait distinguer le gestionnaire d'infrastructure et la compagnie ferroviaire exploitant l'infrastructure. Aux Pays-Bas, toute la maintenance a été laissée au marché. “Chez nous, cette privatisation n'a pas eu lieu et c'est Infrabel qui a été chargé de cette tâche", explique Vanhie. “Infrabel effectue énormément de travaux avec son propre personnel et n'externalise que les gros projets. D'ailleurs, Strukton ne travaille pas uniquement pour Infrabel. Il compte aussi parmi ses clients De Lijn, la TEC et la STIB. Les voies, les caténaires et la signalisation sont notre activité principale. En Belgique, nous ne construisons ni ponts, ni gares. Nous intervenons, lorsque le travail préparatoire est déjà effectué. Infrabel y veille de manière stricte. En revanche, avec De Lijn, il y a des projets PPP où l'on met en adjudication la conception, mais aussi la construction, le financement et la maintenance. Quant à la STIB, elle n'a pas de projets PPP et organise la maintenance quotidienne en gestion propre. A côté de ça, nous pouvons travailler pour des entrepreneurs en génie civil, même si nous le faisons de plus en plus dans le cadre de projets liés au rail. Il y a plusieurs années, nous avons racheté Siebens Spoorbouw, qui est très actif pour des géants comme Arcelor et pour plusieurs entreprises du port d'Anvers. Ainsi, nous avons accès à un marché de niche spécifique. Même si nous suivons le secteur du bâtiment à de nombreux égards (congé, CCT, législation, …), nous avons relativement peu de rapport avec lui: nous travaillons beaucoup plus de nuit et pendant les week-ends, et nous ne misons pas sur les constructions courantes. Nous appliquons du ballast, nous posons les rails dessus, nous installons des conduits dans lesquels nous faisons passer des câbles, nous raccordons des organes de signalisation et nous installons des portiques, nous mettons des caténaires en place, … Bref, il s'agit d'un tout autre marché que celui du bâtiment."

Décrocher des marchés grâce à l'innovation et à l'efficacité

Strukton Rail

Strukton Rail décroche la plupart de ses missions via des appels d'offre, où c'est souvent le moins cher qui l'emporte. “Nous essayons de garder notre prix le plus bas possible en travaillant de manière innovante et efficace", explique Vanhie. “Il peut s'agir de petites choses, mais aussi d'affaires très spécialisées. Par exemple, nous sommes pionniers au niveau de la géométrie et nous avons un scanner 3D avec lequel nous pouvons mesurer des tunnels. Cela nous permet de mesurer plus efficacement et d'affiner les méthodes de construction. Nous pouvons notamment mesurer depuis le sol la hauteur jusqu'où il faut appliquer du ballast. Ainsi, les processus de compactage deviennent plus efficaces et nous pouvons combiner de la qualité et un coût plus faible." 

Investissements à long terme

Un marché de niche suppose un nombre limité d'acteurs qui se connaissent souvent très bien. C'est encore plus le cas pour le marché ferroviaire. “Il s'agit d'un marché difficile, car nous dépendons beaucoup des budgets libérés par les différentes parties. C'est la politique qui a prise là-dessus. Pendant longtemps, on a beaucoup investi dans les projets de nouvelle construction en accordant une importance variable aux travaux de maintenance." “Les investissements ferroviaires sont par définition des investissements à long terme", déclare Vanhie. “Cela implique qu'il faut une vision à long terme. Comment voulons-nous transporter les gens par chemin de fer dans dix ans? A quoi doivent ressembler les gares? Quelles connexions avec le tram et le bus allons-nous prévoir? La réflexion à long terme ne cadre pas toujours avec le fait que les politiques ne sont élus que pour cinq ans. De plus, en période de pénurie budgétaire, il est beaucoup plus facile pour les autorités d'écrémer les gros postes de coûts. Depuis plusieurs années, on aspire à économiser sans pour autant devoir restreindre le service. Mais cette tendance ne peut pas continuer à l'infini. Un deuxième aspect est que, hélas, ce sont souvent des accidents qui déclenchent les investissements. L'European Train Control System (ETCS) voit alors son déploiement accéléré."

SANS SECURITE, PAS DE TRAVAILStrukton Rail

Sur le rail, la sécurité figure en tête des priorités. Il en va de même chez les entrepreneurs en infrastructure ferroviaire. Vanhie: “Chez nous, la sécurité est la priorité absolue. Je dis à chaque nouveau travailleur qu'il ne doit pas travailler s'il ne se sent pas en sécurité. Un train s'arrête très difficilement et ne peut pas dévier de sa trajectoire. Toutes les procédures pour travailler en toute sécurité doivent donc être suivies en permanence. Si nous ne pouvons pas travailler de manière sûre, nous ne travaillons pas. Nous sommes très à cheval là-dessus. C'est valable pour chaque travailleur, qui pourra toujours compter sur mon soutien à cet égard. La sécurité et la qualité sont des priorités, mais la sécurité est encore un cran au-dessus."

Formation annuelle en hiver

Chaque année, Strukton Rail organise e.a. une formation en hiver. “La première semaine de travail de la nouvelle année, nous divisions nos travailleurs en trois groupes. Chaque groupe bénéficie d'une formation intensive d'un jour. Bien sûr, cette formation accorde une grande attention à la sécurité. Cette année, nous avons invité les Responsible Young Drivers pour qu'ils expliquent les dangers de l'alcool, de la drogue et de la vitesse excessive. Avec Securex, nous avons prévu un volet consacré à une vie saine. Beaucoup de nos travailleurs travaillent de nuit pendant la semaine et en journée le week-end. Cela a des impacts sur la santé. Nous souhaitons que l'on y accorde de l'attention.“

Visites de chantier à l'improviste

On accorde également de l'attention à la sécurité lors des visites de chantier à l'improviste que le managing director effectue depuis des années. “J'effectue ces visites avec le conseiller en prévention. Une fois par mois, nous partons sur les routes. Au début, l'accueil était plutôt méfiant, en mode 'voilà le grand boss'. Mais ce n'est plus comme ça. Bien sûr, nous regardons si tout le monde utilise ses équipements de protection individuelle ou si le matériel est agréé, si l'on utilise les machines correctement, etc. Nous remarquons qu'il y a eu une prise de conscience, surtout au niveau du port des EPI. Autrefois, il arrivait parfois que les gens ne les portent pas par nonchalance, mais aujourd'hui, ils comprennent leur nécessité. Une fois, j'ai mis un chantier à l'arrêt, parce qu'on ne pouvait pas y travailler en toute sécurité. Mais à côté de ça, nous voulons simplement montrer un intérêt sincère de la part de la direction. Très souvent, nous avons des discussions intéressantes sur ce qui se passe chez nous et ce qui peut être amélioré. Nous faisons un rapport de chaque visite et il comprend les propositions qu'on nous a faites. Elles sont ensuite traitées en interne. S'il s'agit de bonnes idées, nous les mettons en place."

LA LOGISTIQUE CONSTITUE UN DEFI

En moyenne, Strukton Rail a environ vingt chantiers en cours simultanément. “Nous y travaillons avec environ 150 travailleurs, plus 25 autres chez Siebens et éventuellement plusieurs sous-traitants. Au total, nous avons 120 ouvriers et 55 employés. Mais sur ces 55, 45 sont constamment sur nos chantiers. Les préparateurs de projet, chefs de chantier et chefs de projet constituent une équipe par chantier et assistent à toutes les réunions afin que nous puissions adapter les plannings à temps, passer des commandes et suivre la réalisation. Parfois, une mission comprend l'installation de plaques de quai. Nous ne faisons pas ça. Alors, nous devons faire appel à des collègues ou des sous-traitants." “La spécificité de notre business est que de nombreux matériaux sont fournis par Infrabel lui-même, comme le ballast, les rails, etc. A cela vient s'ajouter une grosse part de logistique, ne fût-ce que pour faire arriver le matériel à temps sur les chantiers. En effet, notre fenêtre de travail est souvent limitée."

“UN TRAVAIL AU CHEMIN DE FER, C'EST ATTRAYANT"

Strukton RailUn marché de niche implique incontestablement du personnel spécialisé qui doit effectuer des tâches spécifiques avec du matériel spécialisé. Ce personnel qualifié n'est pas simple à trouver. “Il n'existe aucune formation donnant immédiatement accès à notre métier", déclare Vanhie. “Donc, nous devons former tous les travailleurs en partant de zéro, qu'ils soient ouvriers ou employés. Nous commençons avec la sécurité et le passeport de sécurité, et nous avançons progressivement. Il faut parfois cinq ans avant que les employés maîtrisent toutes les ficelles du métier. Lorsqu'on accepte les jeunes diplômés, il y a un risque qu'ils aillent voir ailleurs après quelques années, parce que nos heures de travail irrégulières ne cadreront peut-être plus avec leur situation privée. Le fait que nous travaillions toujours pour les mêmes clients, joue aussi un rôle pour certains. Autrefois, on disait qu'un travail aux chemins de fer n'était pas attrayant. C'est faux. Mais il est vrai que les ingénieurs qui construisent des bâtiments, peuvent passer devant avec fierté. Dans notre travail, cette visibilité est beaucoup moins grande."

LES GROS PROJETS SONT MORCELES

Selon Vanhie, les projets étaient plus grands autrefois, si bien qu'on pouvait travailler à plus long terme. “C'est moins le cas. Pour des raisons budgétaires, on morcelle les gros projets, si bien qu'on n'a une certitude que pour un ou deux ans. Pour de plus en plus de projets, on préfère d'ailleurs la politique de négociation au marché public", ajoute Vanhie. “Notre client peut concrétiser ces procédures assez librement, si bien qu'on nous laisse assez longtemps dans le flou. Et puis, les délais plus courts ont aussi un impact sur le travail proprement dit. Lorsqu'on a besoin d'une mise hors service d'une voie ou d'une mise hors tension, il faut le demander un an à l'avance. Cette irrégularité dans notre branche complique énormément les choses par rapport à autrefois." 

INVESTISSEMENTS SUPPLEMENTAIRES

Même si le marché est volatil, il a été récemment décidé que la SNCB et Infrabel peuvent investir un million d'euros supplémentaire dans le Réseau Express Régional, qui doit vraiment être mis en place. “Une grande partie de ce réseau se situe en Wallonie", déclare Vanhie. “En échange, il faut que de l'argent aille en Flandre. On devrait en consacrer à l'élargissement de la ligne 50A Bruxelles-Ostende. Les autorités flamandes veulent aussi que certains problèmes spécifiques soient résolus. Elle va donc libérer du budget pour ça. Quoi qu'il en soit, cela fera du travail supplémentaire et c'est important. Cela m'a fait plaisir de lire que le gouvernement a décidé de mettre de côté les projets Calatrava et de construire des gares qui ont du sens et qui sont vraiment utiles, sans tous ces excès. Cela libérera de l'argent pour d'autres choses. Le projet de sécurité ETCS devrait déjà avoir commencé. Donc, il ne saurait tarder. La STIB est en train de plancher sur l'aménagement de nouvelles lignes de métro, même s'il faudra encore beaucoup de travail préparatoire. L'avenir ne se présente donc pas si mal, même si, bien sûr, cela pourrait toujours être mieux." 

UNE SEMAINE POUR RÉPARER UNE VOIE APRÈS UN ACCIDENT

Treinongeval leuven Parfois, on demande à Strukton Rail de réaliser de véritables exploits. Après l'accident à Louvain en février 2017, qui a fait un mort et 27 blessés, lorsqu'un train a déraillé à cause d'une vitesse trop élevée, on a demandé à Strukton Rail de faire en sorte que la voie soit à nouveau disponible le plus vite possible. “Dans ce genre de cas spécifique, la connaissance de notre personnel s'avère primordiale pour effectuer ces travaux", déclare Vanhie. “Bien sûr, nous avons l'avantage de réunir toutes les disciplines. Dans le cas de Louvain, Infrabel nous a donné une semaine pour effectuer toutes les réparations nécessaires. Le caténaire était abîmé sur une longueur de 600 mètres sur deux voies. Il a fallu renouveler deux fois 150 mètres de voie. Heureusement, nous avons pu compter sur la grande flexibilité de nos collaborateurs."

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Écrit par Jan De Nayer
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