“LE CHEF DE CHANTIER DE DEMAIN DOIT AVOIR DES COMPETENCES DIFFERENTES"
JAN FOLENS (BAM CONTRACTORS) VOIT LA DIGITALISATION COMME PRINCIPALE TENDANCE
Les entrepreneurs de grands travaux civils et d'infrastructure sont confrontés à de nombreux défis. La digitalisation croissante du processus de construction et son nécessaire changement de mentalité chez les travailleurs, mais aussi la complexité sans cesse accrue de toutes sortes de processus de construction. Votre revue professionnelle s'est dès lors adressée à Jan Folens, directeur exécutif chez BAM Contractors, l'une des plus grandes entreprises de construction de notre pays. Nous avons notamment abordé la transformation du secteur de la construction, le rôle de l'entrepreneur dans le monde des smart cities et l'importance des associations professionnelles.
“Nous ne voulons pas simplement construire, mais reellement façonner la societe“
FILIALE DE BAM BELGIUM
BAM Contractors fait partie du top 3 des entreprises de construction belges en termes de chiffre d'affaires. Filiale de BAM Belgium, elle fait partie du Koninklijke BAM Groep. “En fait, nous sommes une très jeune entreprise", entame le directeur exécutif Jan Folens. “En 2015 s'est opérée une fusion entre CEI-De Meyer et Betonac. Le résultat fut BAM Contractors. Grâce à cette fusion, nous possédons désormais toutes les disciplines en interne. Nos 540 salariés réalisent des travaux d'infrastructure et travaux routiers, des projets industriels et hydrauliques, et des bâtiments. Ceci découle de notre évolution et de la réunion d'un amalgame d'entreprises, dont la fusion entre CEI-De Meyer et Betonac fut l'étape la plus récente. BAM Contractors dispose d'établissements à Eke près de Gand, à Bruxelles et à Saint-Trond. Nous sommes actifs dans toute la Flandre. En Wallonie, nous visons surtout la construction de routes, parce que nous disposons d'une centrale à asphalte juste entre Namur et Liège, plus précisément à Vinalmont."
LE TOUR DE BELGIQUE
L'ingénieur civil Jan Folens travaillait auparavant (depuis 2003) chez Betonac. Pour lui, la fusion correspondait aux attentes. “Betonac et CEI-De Meyer étaient des acteurs similaires sur le même marché. Dans ce cas, il est logique de chercher des synergies", affirme-t-il. “Notre défi majeur relatif à la fusion était le caractère rural que nous recevions subitement. Soudain, tous vos chantiers sont répartis dans tout le pays. Cela comportait donc quelques défis organisationnels. Nous avons opté pour le maintien de nos trois sièges. Un simple choix aurait été de centraliser certains services dans tel ou tel siège. Mais cela ne s'est pas fait, de sorte que toutes les disciplines sont présentes dans tous les sièges. La conséquence est que c'est surtout la direction qui a dû faire le tour de la Belgique, au lieu des travailleurs. Si un gestionnaire d'adjudications veut parler à son équipe, par exemple, il doit se rendre sur trois sites. Nous essayons de réunir chaque équipe au moins une fois par mois, car c'est un défi de susciter chez les individus un sentiment d'appartenance à une entreprise, malgré le fait qu'ils se trouvent sur différents sites et ne sont pas souvent présents physiquement dans la même pièce."
“Evidemment, nous utilisons avec reconnaissance la technologie moderne, telle que Skype et les vidéoconférences. Grâce au maintien des trois sièges, nous conservons aussi le caractère local. Nous sommes proches de nos clients et proches de nos chantiers. Si la distance physique devient trop grande entre votre client et votre siège, vous perdez votre connexion avec le client."
PROGRAMME DE FORMATION SPECIFIQUE POUR JEUNES DIPLOMES
Actuellement, BAM Contractors emploie quelque 540 salariés. “Avec eux, nous avons réalisé un chiffre d'affaires d'environ 270 millions d'euros en 2018. Le groupe BAM réalise en Belgique quelque 750 millions de chiffre d'affaires et emploie 1.700 personnes. Pour ce qui est de l'engagement de nouveaux salariés, nous misons sur les jeunes diplômés. Pour eux, nous avons mis en place un programme de formation très spécifique, grâce auquel les jeunes parcourent de nombreux départements et services en six mois. Ainsi, ils ont le temps de s'orienter dans notre entreprise et de se constituer en même temps un grand réseau interne. Leur jeune âge les prédestine à s'adapter à la culture de l'entreprise. Et par ailleurs, nous recherchons de façon ciblée des profils que nous ne possédons pas encore. Si un projet pour lequel nous n'avons pas les bonnes personnes, se présente, nous ne nous portons pas candidats. Car le passé nous a appris que les missions qui ne vous permettent pas d'engager la bonne équipe, sont vouées à l'échec."
TRANSFORMATION
Le grand défi pour Jan Folens est d'impliquer les salariés dans toute la transformation en cours dans le secteur de la construction. “La digitalisation est le mot d'ordre. Une entreprise doit impliquer ses collaborateurs dans l'histoire. Par ailleurs, la complexité de nos projets ne cesse de croître, tout comme les informations disponibles. Réunissez le tout et la barre est si haute pour nos salariés que nous avons mis en place un trajet d'accompagnement intensif pour qu'ils développent les bonnes compétences et résilience. Tout commence par la prise de conscience du fait que votre entreprise concourt aux changements. Si vous négligez ce trajet de prise de conscience, les gens abandonnent. En leur montrant l'utilité des changements, vous les débarrassez de l'angoisse face à ces changements. Ensuite, il s'agit de leur montrer comment évoluer du début à la fin de la transition. Avec BAM Contractors, nous avons achevé la phase de prise de conscience. Actuellement, nous formons de façon très ciblée à l'utilisation des nouveaux outils. Celui qui a suivi une formation, est ensuite suivi de très près par un coach. Le Building Information Modeling ou BIM en est un bon exemple. Nos coaches expliquent avec précision aux collaborateurs leur rôle attendu en matière de BIM. Le chef de chantier d'aujourd'hui n'est plus celui d'hier et n'est pas non plus celui de demain. A l'avenir, un chef de chantier se verra confier d'autres tâches. Celles-ci seront peut-être fort éloignées du processus de construction pour le travailleur en question, tandis qu'elles en seront précisément l'essence à l'avenir. Expliquez à un chef de chantier de 50 ans qu'il doit utiliser le BIM. Pas évident pour tous."
COMPLEXITE CROISSANTE
Hormis la digitalisation, Jan Folens considère que la complexité croissante accroît la pression sur les épaules de ses collaborateurs. “Aujourd'hui, notre personnel doit tenir compte de bien plus de facteurs pendant un processus de construction. Les normes sont nettement plus étendues. Le nombre de techniques et de technologies entremêlées dans un projet est un multiple de ce qui était le cas auparavant. Les contrats entre les maîtres de l'ouvrage, les fournisseurs, les sous-traitants et nous sont devenus plus complexes. Nous devons tenir compte de plus en plus de toutes les parties prenantes d'un projet. Autrefois, cette structure était plus simple, avec un maître de l'ouvrage, un bureau d'étude et un entrepreneur. Maintenant, 25 personnes sont assises autour de la table lors d'une réunion de chantier. Nos équipes de projet sont l'araignée dans la toile et doivent pouvoir agir de concert avec toutes ces parties pour mener à bien les projets. Et étant donné qu'aujourd'hui l'information est immédiatement disponible à tous, chacun attend aussi une solution de notre personnel. Ceci accroît la pression de temps. BAM Contractors organise une formation supplémentaire et des processus sont réexaminés si nécessaire."
“LES DOSSIERS EN ADJUDICATION NE SONT SOUVENT PAS CONSTRUCTIBLES"
La devise de BAM Contractors est 'together we create space'. “Nous mettons fortement l'accent sur l'aspect créatif", confie Jan Folens. “Nous ne voulons pas simplement construire, mais réellement façonner à la société. Il est important de nous impliquer en tant qu'entrepreneur le plus tôt possible dans le processus de construction. En fait, nous voulons déjà rejoindre la table des discussions dès la phase conceptuelle afin de débattre de l'esthétique du projet. Nous évoluons de plus en plus vers les projets design-and-build. Seuls les entrepreneurs qui s'instruisent en matière de conception, peuvent faire la différence. Et même dans le pur processus de construction, notre département 'Design To Build' tente d'avoir un impact en apaisant les craintes du maître d'ouvrage quant à la viabilité de son concept. Le grand inconvénient est que les contrats ne prévoient couramment pas que cette phase soit aussi de la responsabilité de l'entrepreneur. Et même si l'entrepreneur fournit quand même des efforts sur le plan du design, il n'est pas payé en retour au bout du compte. C'est une sérieuse source de tensions, de nombreux dossiers mis en adjudication ne sont, en effet, pas prêts à la construction. Notre valeur ajoutée consiste justement à rendre de tels concepts constructibles. Soit l'entrepreneur que vous êtes, assume de jouer ce rôle, soit vous restez sur la touche et attendez que le maître de l'ouvrage vous dise quoi faire. Cette dernière approche conduit inévitablement à des problèmes sur le chantier avec comme conséquence des dépassements de délai et des dommages-intérêts. Il est évident que nous choisissons résolument la première approche avec BAM Contractors. Ce n'est qu'alors que règne une culture optimale de collaboration en vertu de laquelle les différentes parties collaborent réellement pour mener à bien un projet. Pour nous, il s'agit de sensibiliser les maîtres de l'ouvrage à la maturité de leur concept et de leur proposer notre offre de soulagement. Cette offre a bien entendu un coût et le maître de l'ouvrage doit en être conscient."
“L'ENTREPRENEUR EST A LA SOURCE DE LA SMART CITY"
A l'heure actuelle, chacun parle de smart cities et smart mobility. D'après Jan Folens, l'entrepreneur de demain a aussi un rôle à jouer. “Du fait que BAM est un groupe si grand, nous pouvons affecter chaque année un budget considérable aux innovations. Notre cellule d'innovation étudie de façon intensive ces tendances sociales. Nous étudions le rôle que nous pouvons y jouer afin de parvenir à un business model. Pour l'heure, notre développement de produits est modeste en relation avec les villes intelligentes, mais notre ambition est grande. En effet, nous sommes pleinement conscients de notre rôle en tant qu'entrepreneur. Les villes intelligentes tournent autour de la collecte, de l'échange et de l'interprétation des données. Nous sommes souvent à la source de ces données et sommes ainsi un partenaire indispensable dans ce récit. Ici, nous marchons sur les plates-bandes du promoteur immobilier. Mais si vous êtes en mesure d'élaborer avec lui un modèle qui ne fournit pas seulement un bâtiment, mais également les services afférents autour du smart living, nous nous écartons finalement de la notion de prix comme principal critère d'attribution des projets. C'est notre Saint Graal, que nous cherchons depuis si longtemps."
CREER DE LA VALEUR AJOUTEE
BAM Contractors obtient 80% de ses missions via des adjudications publiques. Le plus souvent, le prix est le facteur décisif, voire le seul facteur. Quoique Jan Folens note une évolution. “On observe que les pouvoirs adjudicateurs ajoutent de plus en plus souvent plusieurs critères de sélection aux cahiers des charges. Nous ne pouvons qu'applaudir cette tendance. Mais le chemin est encore long. Encore trop souvent, le prix est le seul facteur déterminant. Cela nous oblige à organiser nos processus de la façon la plus efficace et performante possible, et c'est à nouveau un avantage. Mais le fait demeure que nous, entrepreneur, cherchons constamment à créer de la valeur ajoutée, pour laquelle le client veut aussi payer."
RESEAUTAGE
Jan Folens (38 ans) a été honoré en 2017 comme Jeune Entrepreneur Flamand et est administrateur de la Confédération Construction Limbourg. “Par ailleurs, je suis administrateur auprès de l'Association des Producteurs d'Asphalte belges et membre de nombreuses autres associations. Il n'est pas toujours évident de trouver le temps pour tout ceci, en plus des tâches quotidiennes intenses, mais je suis convaincu que BAM peut avoir un certain impact, grâce à mon affiliation à diverses fédérations et associations. A l'inverse, vous êtes à la source de nombreuses informations que vous pouvez apporter dans votre entreprise. De nombreux défis attendent notre secteur. Il vaut mieux les aborder en tant que groupe. Je suis un grand partisan des associations professionnelles. La Confédération Construction est très importante pour influencer les autorités et les tendances sociales. J'essaie d'apporter ma modeste contribution."